Les dents et la posture

Quand on parle de posture, et qui plus est de problème de posture, de déséquilibre postural, un grand nombre d’entre vous ont certainement entendu parler du lien possible avec la mâchoire, les Articulations Temporo‑Mandibulaires (ATM), les dents, souvent impliquées dans le cadre d’un SADAM, ou autre déséquilibre occlusal. Un tel lien peut paraître étrange, difficile à appréhender pour un novice. Et pourtant, les dents ont un rôle fondamental dans notre équilibre postural pour différentes raisons. Petit éclairage.

 

Commençons par un petit rappel: Qu’est‑ce que la posture?

Il existe un système inconscient régulateur de la posture, qui permet au corps de s’équilibrer dans les 3 plans de l’espace. Par exemple lorsque nous sommes debout dans une position statique, ce système est actif pour nous maintenir debout. Si ensuite nous décidons de décoller un pied du sol, le corps va s’adapter pour modifier notre position générale pour ne pas nous effondrer. Ce type d‘exemple peut paraître extrêmement basique, mais cela met pourtant en jeu des mécanismes complexes et très intéressants.

 

Ce système inconscient est actif en quasi permanence et ne nécessite aucun effort volontaire de notre part.

 

La posture s’appuie sur 1‑un système de réception, les capteurs posturaux, puis 2‑un système d’intégration complexe ( le système nerveux central, le cerveau, notre ordinateur central), et enfin 3- un système musculaire et articulaire d’adaptation posturale.

 

 

1- Les capteurs de la posture reçoivent en permanence des informations venant de notre environnement. Les principaux capteurs sont:

source: seret-medecine.org

-les pieds, véritables fondations de la posture, dont les nombreuses terminaisons nerveuses enregistrent les informations du contact avec le sol et le poids du corps sur les différentes articulations du pied et de la cheville. Les podologues‑posturologues évaluent la qualité des appuis plantaires à l’aide d’un podoscope (lien article neuromusculaire)

 

-les yeux, dont une des grande fonctions est d’adapter la posture en fonction de la perception visuelle de l’horizon. L’oeil, en lui même, enregistre les informations visuelles, et les petits muscles oculomoteurs ( qui permettent à l’oeil de bouger dans l’orbite) contiennent de très nombreux petits capteurs sensitifs qui permettent de faire le lien entre l’image vue et la position de l’oeil.

http://www.siopos.com

 

-l’oreille interne, dont la fonction est de renseigner le cerveau sur la position de la tête dans l’espace et par rapport au reste du corps. les informations sont transmises dans tous les mouvements de tête ainsi que lorsque nous accélérons ou décélérons.

source: tpeequilibreoreilleinterne.e-monsite.com

 

-la peau et les fascias peuvent aussi être considérés comme des capteur posturaux, puisqu’ils ont un rôle essentiel dans le maintien et l’adaptation de la posture. Ils contiennent des terminaisons nerveuses informant notre système nerveux central de la position et l’état de tension de différentes parties du corps. Ainsi, il est connu qu’une cicatrice adhérente peut avoir un réel impact dans un déséquilibre postural. 

source: www.endovivo.com

-Enfin, et c’est le sujet qui nous intéresse aujourd’hui: la mâchoire, ou complexe crânio‑maxillo‑mandibulaire. Du point de vue postural, elle comprend 3 articulations, que sont les 2 ATM, ainsi qu’une 3e articulation « dento‑dentaire » entre l’arcade dentaire supérieure et inféreure, dont les contacts ne sont sensés se faire 15 à 20 minutes par jour, en occlusion centrée lors de la déglutition, et en latéralité lors de la mastication: en réalité, les contacts interdentaires lors de la mastication sont minimes. En effet, des études à l’aide de micro‑émetteurs inclus dans des couronnes ont montrées que des mécanismes protecteurs disjonctent le contact dès que les aliments sont écrasés, afin d’éviter les traumatismes répétés. Dans certaines parafonctions comme le bruxisme, le temps de contact par 24h peut augmenter jusqu’à plusieurs heures.

source: physiointeractive.com

 

 

 

2- l’ordinateur central

 

Le système nerveux central reçoit toutes les informations venant des capteurs posturaux. Je ne détaillerai pas le mécanisme d’intégration nerveux car il est très complexe et peu utile à l’expression de notre sujet. nous pouvons néanmoins dire que les informations parviennent d’abord dans des régions profondes du système nerveux central, le tronc cérébral et le diencéphale (cerveau archaïque du point de vue de l’évolution des espèces). Ces informations sont ensuites reliées par différentes voies‑relais, pour déclencher par la suite une réponse globale cohérente en fonction de l’environnement du moment. Les voies nerveuses employées sont dites «  inconscientes » car tout ce mécanisme répond à un automatisme nécessaire ( si nous devions traiter volontairement toutes ces informations, nous n’aurions pratiquement plus suffisamment d’attention pour effectuer les tâches de notre vie quotidienne).

source: dailygeekshow.com

 

 

3‑l’organe effecteur: la réponse transmise de l’ordinateur central vers le système musculo‑squelettique emprunte des voies dites « réflexes », qui permettent un ajustement fin et extrêmement rapide du corps dans les 3 plans de l’espace

 

Le lien mécanique entre l’occlusion dentaire et la posture

 

 

Les dents sont en lien direct avec la posture générale, aussi n’importe quel obstacle, élément douloureux ou perturbant aura son influence sur d’autres éléments du corps à distance.

Les travées osseuses maxillaires et mandibulaires d’après Izard

 

Lorsque les dents sont en contact, Les pressions dentaires se transmettent à l’os basal du maxillaire et de la mandibule par l’intermédiaire du ligament alvéolo‑dentaire. Les contraintes se transmettent ensuite au reste du crâne par un système de piliers et de poutres à l’intérieur des os. Ces contraintes sont alors transmises à la colonne vertébrale, principalement par les piliers et les poutres de la base du crâne, ainsi que celles parcourant les lignes temporales de part et d’autre du crâne. Chaque dent, selon sa position sur l’arcade dentaire, va alors transmettre des contraintes mécaniques selon un chemin qui lui est propre. Des contraintes asymétriques et/ou exagérées peuvent déséquilibrer le système d’adaptation postural et créer des compensations au niveau des ATM et ailleurs dans le corps.

(parodonte.medeco.de)

La mâchoire n’est donc pas un système isolé du corps humain. Toutes les chaines musculaires sont reliées au complexe crânio‑maxillo‑facial, de près ou de loin. Les pressions inter‑dentaires se transmettent mécaniquement au reste du corps et conduisent inévitablement à des phénomènes d’adaptation. Voilà pourquoi l’occlusion dentaire est si importante: si les contacts sont physiologiques ( symétriques et d’intensité modérée), le système est en équilibre. Si l’occlusion est mauvaise, le système va travailler davantage et devoir s’adapter. Par exemple, lors d’un effort physique important ou le port d’une charge lourde, l’occlusion permet de solidariser les chaînes musculaires du corps et ainsi déployer une stabilité et une puissance optimale. C’est pourquoi aujourd’hui, la plupart des fédérations sportives font vérifier l’occlusion de leurs athlètes auprès d’occlusodontistes.

 

Je vous invite à ce sujet à relire l’article du Dr Hauteville sur les édentations non‑compensées . Par exemple, lors d’une édentation postérieure (molaire) non‑compensée, l’os basal n’est plus stimulé mécaniquement par les pressions dentaires et se fragilise (réaction locale). Le système recherche des contacts inter‑dentaires impossibles, la pression s’exerçant sur les ATM augmente considérablement, pouvant alors aboutir à des pathologies articulaires (réaction loco‑régionale). On observe fréquemment un phénomène de bruxisme compensatoire. Les contraintes transmises au crâne, aux cervicales (particulièrement les 2 premières), asymétriques, trop fortes, conduisent à l’apparition de migraines, de douleurs dans la nuque, voire d’acouphènes liés à la cause mécanique dentaire. L’information diffusant à l’ensemble du corps et nécessitant des adaptations multiples, toute la posture est concernée (réaction générale).

 

 

Lien neurologique

source: doctorette.info

 

Comme nous l’avons cité précédemment, l’innervation sensitive des dents, de la mandibule et d’une grande partie de la face reste de la face est sous contrôle du nerf trijumeau. Les muscles de la mastication ainsi que l’ATM ont aussi cette innervation. C’est le même nerf trijumeau qui innerve la dure‑mère à l’intérieur du crâne, membrane protectrice du cerveau dont on connait aussi la grande sensibilité. La représentation du nerf au niveau du système nerveux central est importante, Le nerf est très volumineux, les noyaux au niveau du tronc cérébral sont très étendus. La surface du cerveau traitant les informations de sensibilité ou de douleur est aussi très grande par rapport aux autres régions du corps. Le complexe parodontal contient des mécanorécepteurs ainsi que des nocicepteurs (récepteurs des informations douloureuses) qui réagissent à des pressions très fines, de l’ordre de quelques microgrammes.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Les dents et les cervicales

 

Le nerf trijumeau est en lien avec plusieurs autres structures importantes pour la posture. On dit qu’il « projette » sur les cervicales, c’est à dire que les informations venant des muscles et des articulations du cou sont en lien avec celles des dents, des ATM, des yeux… véhiculés par le trijumeau. Aussi, ces systèmes s’influencent réciproquement. C’est pourquoi, très souvent, lors de dysfonctions des ATM et occlusales, les premières vertèbres à compenser sont la charnière occiput‑atlas et atlas axis ( cervicales hautes et articulation avec la base du crâne).

 

source:http://akirelax.es

 

 

Les petits muscles verniers qui se trouvent à l’arrière de la tête règlent la position de la tête sur la colonne vertébrale, et ont ainsi une influence sur le tonus musculaire général du corps.

Aussi, lorsque des informations (douloureuses notamment) venant de l’ATM, des dents, des muscles masticateurs, sont trop importantes, elles tendent à saturer les centres intégrateurs nerveux et à prendre le pas sur les autres informations arrivant au système: il y a comme un bug dans le système, qui est sur‑sollicité.

 

Les dents et les yeux

 

Il n’est pas rare de voir des problèmes d’occlusion et des troubles de la motricité des yeux cohabiter chez des personnes ayant un déséquilibre postural. En effet , il existe certains liens entre les dents et les yeux, que certains expliquent par l’innervation commune des deux régions de la face (le nerf trijumeau). Des études* ont montré qu’une anesthésie tronculaire sur le maxillaire supérieur modifie l’équilibre des yeux ( la motricité extra‑oculaire est sous contrôle du nerf III oculomoteur mais la proprioception de la zone est assurée par les fibre sensitives du V). Les capteurs de la posture sont donc connectés à centres intégrateurs nerveux mais entretiennent en même temps un « partage d’information », des influences réciproques.

 

 

 

Observations cliniques en ostéopathie crânio‑maxillo‑faciale

 

L’ostéopathie crânio‑maxillo‑faciale s’intéresse à la globalité du sujet, de sa posture, tout en étant particulièrement attentif à l’équilibre de la mâchoire et l’influence de celle‑ci sur le reste du corps.

 

Dans mon expérience d’ostéopathe en cabinet, j’observe quotidiennement les liens qui existent entre les dents, la mâchoire, et la posture. Ceci est d’autant plus parlant qu’en ostéopathie, nous sommes très attachés à la vision de l’ensemble du corps, et des relations qu’entretiennent les différentes parties entre elles, nous sommes persuadés que la santé s’exprime quand les bonnes informations sont transmises aux bons endroits, et que toutes les parties du corps communiquent entre elles ( par voie mécanique, nerveuse et circulatoire notamment). La plupart du temps, lorsqu’un patient consulte pour un problème d’ATM, il souffre aussi de douleur cervicales, de migraines, d’acouphènes, de problèmes touchant les yeux, ou d’autres problèmes périphériques dont la chronologie, les modes d’apparition et notre examen postural nous conduisent à penser qu’il existe un lien entre ces éléments. Aux vues de ce que nous avons dit précédemment, il est beaucoup plus facile de comprendre comment tout cela se relie.

 

Par exemple, un petit exercice très facile permettant de mettre en évidence l’impact de l’occlusion sur la mobilité des cervicales: debout, en position neutre, serrez les dents puis laissez doucement partir votre tête en extension, vers l’arrière en gardant les dents serrées, et notez votre amplitude de mouvement. ensuite, en position d’extension maximale, relâchez la mâchoire et notez si cela vous donne davantage d’amplitude cervicale en extension. La différence à ce test est tout à fait significative chez les patients dont l’occlusion perturbe la mobilité cervicale.

 

En pratique, il faut vérifier systématiquement la charnière crânio‑rachidienne car c’est une zone de carrefour influençant à la fois les ATM et le tonus de posture général. Ensuite, tous les capteurs de la posture sont vérifiés: l’équilibre des pieds, des yeux, des oreilles l’occlusion, les ATM. Les fascias, qui sont au coeur du traitement ostéopathique.

On peut également observer chez la plupart des patients une influence très forte du système nerveux ( notamment le SN sympathique) dans le fonctionnement des patients. Un travail de relâchement et de normalisation du système nerveux par ce type d’ostéopathie, permet d’agir sur la manière dont le système reçoit les informations. La proprioception est modifiée, et souvent le niveau de tension nerveuse baisse, ce qui permet entre autre de soulager les ATM des puissants muscles masticateurs. Ce type de technique sur le système nerveux permet d’agir sur certaines parafonctions comme le bruxisme, dont l’influence néfaste sur les dents et la posture n’est plus à démontrer.

 

 

 

 

Florian Mandrillon

66 rue René Boulanger

75010 Paris

06 74 44 01 14

www.ostéopathe-mandrillon.com

 

 

*Meyer, Baron, 1973: Variation de l’activité tonique posturale orthostatique au cours d’une anesthésie régionale du trijumeau 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Lexique:

 

 

 

 

 

 

Système nerveux central (SNC): Partie du système nerveux situé à l’intérieur du crâne et de la colonne vertébrale, il comprend: le cerveau, le cervelet ( à l’arrière du crâne), et le tronc cérébral (ou bulbe rachidien).

il est appelé « central » par opposition au système nerveux périphérique (les différents nerfs qui parcourent le corps). Il contient des centres nerveux permettant la réception et l’émission d’informations, ainsi que la coordination de toutes les fonctions du corps humain.

 

Fascia: tissu fibreux, originellement considéré comme un système enveloppant les muscles et les organes, il est en fait un tissu omniprésent dans le corps humain, ressemblant à une toile d’araignée tendue entre les os, les muscles, les artères, les nerfs, les organes, etc. Il fait le lien entre toutes les parties du corps et transmets les (micro) contraintes mécaniques à l’ensemble du corps, permettant ainsi une cohérence structurelle et fonctionnelle dans le mouvement.

 

occlusodontiste: dentiste spécialisé dans l’occlusion.

 

nerf trijumeau: 5e nerf crânien, responsable de la sensibilité du front, des joues, de la mandibule, et de la motricité des muscles de la mastication.

 

nerf oculomoteur: 3e nerf crânien, responsable du contrôle de la plupart de la majorité des muscles autour de l’oeil.

 

dure‑mère: membrane fibreuse entourant le système nerveux central, autour du cerveau et de la moëlle épinière.

 

nocicepteur: récepteur spécialisé dans les informations douloureuses.

mécanorécepteur: récepteur spécialisé dans les informations mécaniques.

muscles verniers: petits muscles reliant les deux premières vertèbres cervicales à la base du crâne.

 

charnière crânio‑rachidienne: articulation entre le crâne et les vertèbres cervicales.

 

système nerveux sympathique: partie du système nerveux végétatif responsable du fonctionnement involontaire de nos organes, avec le système nerveux parasympathique. Le sympathique est particulièrement actif dans les situations d’agression, de stress.