Le corps, premier instrument du musicien
Le corps, premier instrument du musicien
Principales problématiques posturales et leurs solutions
Par Florian Mandrillon, ostéopathe
Un corps méconnu
La question du corps a été pendant longtemps mise de côté dans notre culture occidentale. Pourtant au centre de notre vie, connaissons‑nous suffisamment notre corps? Quel rapport entretenons‑nous avec lui?
Cet article est le premier d’une série qui abordera la question du corps et de la posture chez le musicien, notamment pour le guitariste, car c’est l’instrument que je pratique et connais le mieux; les principes sont pourtant les mêmes pour d’autres instruments, avec leurs spécificités propres.: l’équilibre, la stabilité, la détente. Les autres articles aborderont l’apport d’un accompagnement en ostéopathie, ainsi que des conseils pratiques que je donne à mes patients pour leur permettre de rester dans la meilleure condition physique possible tout en devenant autonomes.
Le travail nécessaire pour devenir musicien est considérable. De longues heures de travail quotidien sont nécessaires et il est essentiel que la posture soit ajustée au mieux pour jouer confortablement et ne pas risquer de se blesser sur le long terme.
La rencontre du corps avec l’instrument
Le moment où le guitariste prend son instrument est une rencontre. Un point d’équilibre entre les deux se fait. Le musicien doit être confortable dans ses appuis au sol et sur le siège tout en restant dans une attitude dynamique pour ne pas peser sur l’instrument mais le contrôler avec légèreté. Dans l’histoire de la guitare, les méthodes de Carcassi, Carulli, Sor (entre autres) ont donné des références quant à la posture à avoir pour le guitariste classique. Ces recommandations ont évolué jusqu’à nos jours. Du point de vue de l’ostéopathe, il y a plusieurs choses à en dire.
La région du bassin et du bas du dos
Julian Bream
La position classique utilisant le repose‑pied est encore aujourd’hui la plus pratiquée. Elle offre des avantages et des inconvénients. L’avantage majeur est la stabilité de l’instrument, la sensation de faire corps avec lui. On peut aisément lâcher des mains la guitare sans risquer de la faire tomber. L’inconvénient majeur est qu’elle engendre une asymétrie de la posture: la flexion de la hanche gauche, crée une fermeture au niveau du pli de l’aine et une torsion au niveau des deux os iliaques (les os du bassin). Cette torsion du bassin contraint le corps à s’adapter en ajustant la tension des ligaments (sacro‑iliaques et ilio‑lombaires principalement) et des muscles (psoas surtout, carré des lombes). Cela n’est pas forcément dramatique et beaucoup de guitaristes s’adaptent heureusement très bien à cela, mais c’est un effort d’adaptation qui nécessitera une attention pour faire régulièrement des mouvements, sport, étirements, ou autre, de manière à pouvoir faire travailler autrement ces muscles et ligaments et les détendre. Nous en reparlerons plus en détail dans l’article sur les conseils et recommandations.
De mon point de vue, les guitaristes qui commencent très tôt à utiliser un repose‑pied ont un corps qui s’adapte assez bien a cette posture. Cependant, sur le long terme cela peut entrainer des problèmes de dos assez sérieux, en fonction également de l’histoire de vie de la personne, de sa constitution de base (il y a des personnes qui auront plus de fragilité de dos que d’autres. Heureusement, il existe aujourd’hui beaucoup d’alternatives en vue de trouver la meilleure ergonomie.
Le milieu du dos
Nous devons considérer également une partie du dos qui est souvent négligée et peut poser des problèmes par une mauvaise habitude de vouloir se redresser en bombant le torse en avant et en élevant le menton. C’est le « tiens‑toi droit! » que chacun a pu entendre et qui fait nous redresser d’une manière un peu militaire. Cette habitude de se redresser fait que le musicien, voulant se tenir droit, peut sans s’en rendre compte projeter vers l’avant le milieu de son dos, et donc provoquer des contractures musculaires qui auront un impact sur le mouvement des bras et des épaules. Nous en parlerons davantage dans un prochain article consacré à la technique Alexander.
(Source 123RF)
La question des membres supérieurs
C’est bien la région du corps la plus sollicitée pendant le jeu. Une asymétrie propre aux instruments à cordes pincées, par la différence de fonction main droite/main gauche demandant aux chaînes musculaires un travail différent.Il peut être utile de de comprendre comment fonctionne chaque muscle pour mieux les utiliser, et comment tous sont reliés entre eux par des fascias (j’en parlerai davantage dans l’article sur l’ostéopathie pour les musiciens). C’est un sujet passionnant et surtout très utile!
La capacité du musicien à pouvoir repérer les tensions de sa posture et les détendre est quelque chose d’essentiel. Petit à petit et de plus en plus, le musicien doit apprendre à pouvoir repérer à quel moment ses épaules, ses coudes, ses mains sont tendues de manière automatique, inconscientes. C’est une attention de chaque instant à avoir pendant la pratique instrumentale. Une concentration trop soutenue, à une appréhension, par exemple en jouant en public, de mauvaises habitudes posturales, en sont les causes. Etre plus attentif à sa posture et essayer de l’améliorer en détendant certains muscles est un travail nécessaire et important; les séances d’ostéopathie pourront aussi beaucoup aider sur ce terrain‑là, nous en reparlerons.
La posture doit respecter la physiologie, c’est à dire l’axe des articulations: elles sont faites pour travailler dans un certain sens, dans certaines amplitude. Par exemple, un poignet droit trop fléchi va contraindre les tendons du dos de la main et pouvoir favoriser les tendinites et kystes synoviaux.
Les solutions pour l’ergonomie
Les différents éléments d’ajustement postural existant pour la guitare classique permettent aujourd’hui à chacun de trouver ce qui lui convient le mieux. Ergoplay, gitano, guitarlift, et d’autres, vont redonner la symétrie posturale du bassin. Les deux pieds sont alors bien ancrés au sol, les deux jambes alignées. Les muscles et les ligaments dont nous avons parlé vont alors travailler dans un sens beaucoup plus physiologique. Ces systèmes ont pour inconvénient une perte de stabilité relative, avec laquelle la plupart des guitaristes s’essayant à ces éléments s’accommodent aisément. Pour autant, c’est une question d’habitude et des guitaristes étant à l’aise avec un repose‑pied garderont cette posture. Le principal est que chacun puisse choisir la solution la plus adaptée à sa morphologie et à ses sensations. Le temps où une posture normée était imposée de manière rigide à tous semble aujourd’hui révolu.
L’instrument en lui‑même peut également être adapté au guitariste. Lors d’une commande, le luthier peut observer le jeu et la posture du musicien pour adapter certains paramètres comme la taille de la caisse, du manche, la hauteur et la tension des cordes. Cela permettra d’avoir un instrument sur mesure qui puisse lui convenir parfaitement. Ce n’est pas une pratique systématique en lutherie mais cela peut se faire.
Une posture au cas par cas
Bien évidemment, les notions abordées précédemment sont les grandes lignes et la posture dans le rapport à l’instrument est quelque chose de très personnel, individuel. Il y a des choses qui marchent pour certains et pas pour d’autres, le tout est de trouver ce qui est efficace et confortable pour soi, tout en respectant les principes de la physiologie et de la posture.
Pour toute question n’hésitez pas à me contacter
Florian Mandrillon
0674440114