L'ostéopathie pour les musiciens

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L’ostéopathie pour les musiciens

Par Florian Mandrillon, ostéopathe

 

 

« … par l’étude, la recherche et l’observation, j’approchai graduellement une science qui serait un grand bienfait pour le monde ». A.T Still, fondateur de l’ostéopathie (autobiographie, 1897).

 

 

Andrew Taylor Still, fondateur de l'ostéopathie

 

Dans l’article précédent, nous avons abordé le sujet de la posture du musicien, particulièrement pour le guitariste classique, avec les choses essentielles à connaitre pour mieux comprendre et améliorer son rapport postural à l’instrument. Dans ce nouvel article, je vais vous parler d’autre chose d’important, qui a un impact réel, à la fois sur notre condition physique et notre jeu de musicien. Il s’agit des facteurs physiques et physiologiques sur lesquels nous n’avons pas d’action directe: les tensions et compensations que notre corps accumule au fil du temps et qui peuvent souvent être source de déséquilibre avec le temps, pouvant conduire, si on n’y prend pas garde, vers l’apparition de pathologies. L’ostéopathie est une médecine manuelle qui étudie directement ces mécanismes de compensation, d’adaptation, et permet de trouver des solutions pour corriger durablement ces déséquilibres. Il m’apparait très important d’écrire sur ce sujet, car même si l’ostéopathie bénéficie aujourd’hui d’une très bonne presse dans l’opinion publique, elle souffre encore parfois d’idées reçues et gagnerait à être encore mieux connue, notamment dans le milieu de la musique où la question du corps n’est pas suffisamment abordée.

 

Un peu d’histoire

 

Il faut savoir que l’ostéopathie est née dans la deuxième moitié du 19e siècle aux Etats‑Unis, dans le Middle‑West, par les recherches médecin, Andrew Taylor Still, qui souffrait de ne pouvoir soigner ses congénères, les seuls médicaments de l’époque étant quelques drogues, du whisky, de l’opium, un scalpel…

Très proche de la nature, il découvrit, au cours de sa vie, par ses expériences et ses intuitions, que le principe vital de croissance et de développement dans les plantes, les animaux était également présent dans l’homme (qui n’est pas coupé de la nature), et que le corps humain, s’il était parfaitement ajusté et tous les os et organes en « bonne position » et en « bon état », devait en bonne santé. Il voyait quelque chose de parfait dans la nature, donc également dans le corps humain. En corrigeant la structure, il redonnait au corps sa fonction. Ses résultats étaient tellement extra‑ordinaires que les américains de l’époque (et même certains européens) arrivaient dans sa petite ville de campagne par trains entiers, restaient plusieurs semaines dans son dispensaire pour être soigné de toutes sortes d’affections, pas uniquement les problèmes de dos   (à l’époque, l’ostéopathie soignait toutes sortes d’infection et de problèmes graves). Il faut se rappeler qu’à l'époque il n’y avait quasiment pas de médicaments, les antibiotiques n’existaient pas: la médecine était vraiment rudimentaire. Nous sommes autour des années 1880.

Toute sa vie fut consacrée à développer le concept de cette médecine manuelle et la transmettre aux générations futures. Aujourd’hui, en France, 4 personnes sur 5 ont déjà consulté un ostéopathe au cours de leur vie. L’ostéopathie est présente dans presque tous les pays du monde, sur tous les continents.

 

L’ostéopathe, un mécanicien de la vie

 

Still concevait l’ostéopathe comme un mécanicien de cette grande machinerie de la vie qu’il observait avec émerveillement. Il était fasciné par l’agencement si précis et si parfait de tous ces muscles, ces os, ces ligaments entre eux. Cette image de la mécanique peut porter à discussion aujourd’hui mais il faut se rappeler que la pensée de l’homme du 19e siècle n’est pas celle que nous avons aujourd’hui, il faut la remettre dans son contexte. L’époque de Still se situe juste après la Révolution Industrielle. Il était un homme de son temps mais avait cette capacité d’émerveillement et des intuitions tout à fait étonnantes. De plus, il savait que si son enseignement de l’ostéopathie était trop vague, trop abstrait, il ne parlerait pas à ses contemporains et l’ostéopathie serait vouée à disparaitre. Il a donc volontairement axé toute sa méthode autour des principes mécaniques du corps humain, la manière de déceler les blocages, les tensions, les déplacements mécaniques de la structure et comment les corriger, les ajuster, pour que le corps puisse retrouver sa bonne fonction et sa santé, pour que « le grand fleuve de la vie puisse irriguer les champs desséchés »… Ses écrits sont empreints d’une poésie inspirante.

Ce qui fait la force de l’ostéopathie, c’est sa grande connaissance de l’anatomie. L’ostéopathe développe sa capacité a voir et à ressentir avec ses mains les tensions et les déséquilibres du corps, mais il ne peut comprendre et interpréter ce ressenti qu’en ayant une connaissance de l’anatomie la plus parfaite possible. L’anatomie est pour l’ostéopathe comme un livre, une grille de lecture, qui donne un appui concret, ce qui en fait une vraie médecine manuelle concrète et efficace.. Les écrits de Still et ceux qui l’ont côtoyé décrivent comment il a soigné des centaines, des milliers de cas, de blocages articulaires aux enfants atteints de dysenterie, des pneumonies sévères et bien d’autre cas. Il disait « Si vous me prenez pour un charlatan, une bonne dose d’anatomie vous prouvera le contraire ».

 

L’ostéopathie de nos jours

 

L’ostéopathie au cours du 20e siècle et 21e siècle a beaucoup évolué, de nombreuses recherches ont approfondi la connaissance que nous avons de ces mécanismes, du fonctionnement des organes (les recherches sur le crâne, fonctionnement du cerveau, par exemple), de structures essentielles comme les fascias dont nous allons parler un peu plus loin. Aussi, ses champs d’application se font développés dans presque tous les domaines, pour tous les publics, des bébés aux personnes âgées, des sportifs de haut niveau aux musiciens, avec la compréhension des mécanismes spécifiques à chacun.

Travaux du Dr JC Guimberteau sur les fascias

Tout est lié

 

Le concept de globalité est le maître mot de la pensée ostéopathique. S’il n’y avait qu’un mot à retenir, ça serait celui‑ci. L’être humain est considéré comme une seule chose, comme un tout indivisible, des pieds à la tête et également ses aspects psychiques, émotionnels, spirituels; un système où tout est en inter‑relation, tout bouge ensemble. Cette manière de voir et de penser diffère radicalement d’avec toute notre éducation habituelle et la médecine que nous connaissons. Si on considère une douleur qui survient par exemple, nous sommes tout de suite focalisés dessus et il nous est très difficile, presque impossible de penser que cela peut avoir une origine située à un autre endroit. Nous allons en parler davantage dans quelques instants.

 

L’élément physique qui fait le plus sens par rapport à cette globalité est ce qu’on appelle le fascia. (Si vous souhaitez en savoir plus sur le sujet, il existe un documentaire réalisé par la chaîne Arte sur ce sujet, il vous donnera des explications très claires et visuelles de cela). Les recherches de ces dernières décennies nous ont appris que le fascia est comme une immense toile d’araignée, présente partout dans le corps des pieds à la tête, reliant entre elles absolument toutes les structures du corps: les os, les muscles, les tendons, les nerfs, les vaisseaux, les organes, entre eux. Il n’y a pas un endroit du corps humain où il est absent (des scientifiques ont bien cherché au microscope et n’ont pas trouvé…). Cette immense toile donne une cohérence structurelle à l’ensemble, et fait que lorsqu’une partie bouge, même d’un millimètre, l’ensemble des tissus adjacents s’adapte à ce mouvement. Lorsque mes doigts se mobilisent quand je joue de la guitare, il y a une réaction d’adaptation des tissus au niveau de l’avant‑bras, du coude, de l’épaule, du dos… C’est un mécanisme d’ensemble qui se fait.

 

La mémoire du corps

 

Notre corps garde en mémoire des traces des événements vécus, que ce soit des chocs, des traumatismes, des postures répétées, etc. Ces événements vont créer des tensions dans le corps qui vont s’accumuler en couches successives avec le temps. L’image du millefeuille peut permettre de comprendre cela. Par exemple, une chute sur les fesses à 3 ans,  un choc émotionnel à 6 ans,  un accident de vélo à 9 ans, un déséquilibre de croissance à l’adolescence des entorse, etc.

Le corps absorbe ces contraintes, crée des compensations et s’adapte en permanence. Il fait son travail jusqu’au jour où sa capacité d’adaptation est dépassée: c’est la goutte d’eau qui fait déborder le vase.

 

 

Causes et conséquences

Penser une cohérence tissulaire d’ensemble permet de comprendre comment se font ces mécanismes d’adaptation. Prenons l’image de l’iceberg: les couches successives de tensions qui se sont accumulées forment la partie sous l’eau. Le corps s’adapte sans que l’on y pense. Quand le symptôme survient (souvent, la douleur) nous le considérons comme le point de départ du problème alors qu’il n’est que la partie émergée de l’iceberg: la partie hors de l’eau sur laquelle on se focalise mais qui n’est que la conséquence de la partie sous l’eau. Prenons quelques exemples classiques retrouvés dans les séances d’ostéopathie.

 

-Une fracture d’un doigt lors d’une chute en sport: la violence du choc et les semaines d’immobilisation, vont fixer l’articulation entre les deux phalanges. 3 ou 4 ans après, la personne déclare une tendinite du coude du même côté. Lors de son examen, l’ostéopathe trouve que l’articulation fixée a créée une tension chronique sur le tendon extenseur du doigt, qui a fini par se répercuter au coude. La cause est au niveau du doigt alors que la personne croyait son problème résolu.

 

-Une personne se tord la cheville en ratant un trottoir dans la rue: une entorse est diagnostiquée. Lors du choc, l’effet de surprise a créé une petite onde de choc qui a résonné dans l’articulation sacro‑iliaque, au niveau du bassin. Une gêne chronique s’installe, surtout pendant les longues heures de jeu à l’instrument. En allant consulter un médecin, les radios ne montrent aucun problème apparent. Dix séances de kinésithérapie du dos ne soulagent que peu la personne. L’ostéopathe, en rééquilibrant le pied, la cheville, l’axe de la jambe et le bassin, permet à la douleur de disparaitre en ayant traité l’ensemble, la cause mécanique.

 

-ayant travaillé sa guitare avec une attaque à droite forcée pendant plusieurs mois, le poignet d’un étudiant s’est légèrement décalé sur l’intérieur (côté du petit doigt). Les petits os du carpe se sont fixés ensemble (triquetrum et hamatum). Quelques temps plus tard, une compression du nerf ulnaire se manifeste, par de violente douleurs soudaines lors de certains mouvements de la main. La cause est mécanique, il faut libérer le poignet et corriger la position de l’étudiant pour éviter qu’il ne se fasse davantage mal et soit obligé de s’arrêter de jouer.

 

Un instrument à accorder

Au cours de son travail, l’ostéopathe observe et comprend ces mécanismes et trouve le moyen de libérer toutes les tensions qui se sont exercées sur le corps, pour lui redonner son équilibre, sa liberté de mouvement. Les blocages disparaissent peu à peu, les relations entre les différentes structures s’harmonisent. D’une impression désordonnée en début de travail, on atteint peu à peu un état d’harmonie, qui est ressenti par la personne soit immédiatement soit dans les jours qui suivent la séance d’ostéopathie.

 

Le cas du guitariste classique

 

Dans la pratique régulière de la guitare classique, il y a plusieurs choses à noter. Tout d’abord, il y a les parties du corps qui sont très sollicitées : les mains, des coudes, des épaules, du haut du dos, avec leurs articulations, leurs muscles, leurs tendons. Les contraintes mécaniques sur celles‑ci sont fortes et répétées et il est important de les libérer régulièrement avec l’aide d’un ostéopathe ou un kinésithérapeute ainsi qu’en faisant des étirements et auto‑massages , car même avec la meilleure posture et les meilleurs gestes, il n'en reste pas moins que les forces mécaniques créent des tensions.

Il y a les zones du corps qui bougent moins: le dos, le bassin, les hanches, dont nous avons déjà parlé dans l’article précédent sur la posture du musicien. Certains muscles peuvent se contracter si on n’y prend pas garde, surtout si le guitariste a une posture asymétrique et une mauvaise hygiène de vie. Nous verrons cela dans l’article suivant au sujet des conseils au musicien. Tout cela nécessite un bilan au cas par cas, car les mécanismes d’adaptation sont propres à chacun.

 

La main du guitariste

 

Le travail spécifique des mains et des avant‑bras en ostéopathie est très intéressant pour le musicien. Au cours de son travail, l’ostéopathe vérifie un certain nombre de paramètres importants, parmi lesquels:

  • la liberté des axes mécaniques des doigts, l’axe long: les articulations des phalanges, métacarpe carpe, les ligaments et tendons qui y sont reliés.
  • -les axes transverses du carpe, avec des problématiques différentes pour la main droite et la main gauche du musicien.
  • La membrane interosseuse, sorte de grand ligament reliant les deux os de l’avant‑bras entre eux, ainsi que les paramètres de prono‑supination (+ ou - équivalent à la rotation de l’avant bras et du poignet).

source pr Eric Roulot

Il faut passer au peigne fin, de manière très minutieuse, toutes ces structures pour les libérer de toute contrainte, ce qui redonnera une bonne fluidité du geste, aidera également les gestes techniques comme les écarts de la main gauche (pour le guitariste).

 

Il y aurait encore bien des choses à dire, mais pour terminer, je peux mentionner également une attention toute particulière pour la loge musculaire thénar du pouce gauche, qui est particulièrement sollicitée dans la tenue du manche de guitare, dans les barrés, et qui peut assez souvent être source de problèmes.

 

Kinésithérapie ou ostéopathie?

La kinésithérapie est la rééducation par le mouvement et pour le mouvement. On consulte en général un kinésithérapeute après une blessure et celui‑ci va proposer des exercices, éventuellement des massages sur la zone du problème, pour remettre en bonne fonction et en mouvement ces structures. L’ostéopathie est une approche différente et complémentaire, travaillant sur la globalité du corps et essayant d’amener un état d’équilibre en libérant les contraintes et les zones de compensations accumulées.

 

Craquement ou pas?

Pour être succinct, il existe différents courants de pratique en ostéopathie, des plus mécaniques ( ça craque) aux approches plus douces. Je dirais que pour le musicien, les techniques douces me paraissent beaucoup plus adaptées, plus efficaces dans le temps, et apportent des effets bénéfiques notables sur la sensation du corps et le développement de la proprioception (nous en parlerons un peu plus tard).

Pour soigner et pour prévenir

On peut consulter un ostéopathe pour soigner une blessure déclarée. Dans les plus fréquentes pour les musiciens, citons:

-les tendinites, les synovites

-les douleurs musculaires

-les entorses

-les compressions nerveuses, névralgie cervico‑brachiale, sciatique, compression du canal carpien, nerf ulnaire, nerf radial.

-travailler autour des kystes synoviaux et prévenir leur apparition.

 

On peut également consulter en entretien, même lorsqu’on ne ressent pas de douleur. C’est ce que je vous invite à faire de temps en temps, une fois par an au minimum, et si possible 2‑3 fois dans l’année si vous jouez plus de 5 heures par jour, car cela permet garder le corps en équilibre et prévenir l’apparition des pathologies. Les séances d’ostéopathie sont d’ailleurs bien plus efficaces lorsque la douleur n’est pas installée. Mieux vaut prévenir que guérir!

Je pense également qu’il est intéressant de travailler en ostéopathie sur les dystonie de fonction (surtout au début, si possible), même si le traitement de choix restera la kinésithérapie.

 

D’autres effets utiles pour les musiciens seront développés dans l'article « comprendre son corps », quand à la proprioception, au développement d’une banque de sensations qui aidera le musicien à être davantage en lien avec son corps.

 

Si vous avez des questions, n’hésitez pas à me contacter.

 

Florian Mandrillon

0674440114

osteo.mandrillon@gmail.com